Cercle Thieulâm

Écoles d’arts martiaux chinois traditionnels
法國少林聯合會

La main comme arme de guerre

Volet 6 (1700 – 1800)

Partie 3 : les incendies

Nous sommes au début du XVIIIème siècle et l’histoire va se compliquer.

L’empereur Kangsi comprend que pour stopper l’opposition, il doit éliminer les noyaux de résistance en passant outre le caractère sacré des monastères, y pénétrer et y éradiquer ses adversaires. C’est son successeur, Yongzheng qui surmonte ses peurs et ses superstitions pour faire attaquer certains temples dont celui de Shaolin du Hénan en 1723 .

Certains affirment que ce sont les taoïstes qui sont à l’origine de cette histoire, mais il n’existe pas de preuves sur le rôle sombre qu’ils y auraient joué en dénonçant le temple aux autorités et en y conduisant l’armée. Il est douteux que les Mandchous aient attendu les Taoïstes pour s’apercevoir que le temple avait des actibvités subversives.

Quoi qu’il en soit, des moines sont tués, une petite partie du temple est incendiée et détruite. Le premier assaut Mandchou est repoussé, mais au second, les moines sont forcés à la reddition. Certains moines s’échappent. La légende affirme qu’ils furent cinq et que de leurs activités de résistance naîtra la ligue Hung, plus connue sous le nom de société secrète de la Triade.

Cependant, il est probable qu’ils furent plus nombreux à s’en sortir  car des rescapés experts s’enfuirent au Japon pour y fonder les écoles Ju Jutsu, To De et Shorin Ryu. D’autres créèrent quelques mois plus tard les écoles Thieulâm dans le nord du Vietnam .

Les cinq rescapés diffusèrent l’art martial de Shaolin du Nord sur leur route qui les mènera au temple de Shaolin du Sud. L’art martial de Shaolin du Nord se divise alors en trois branches :

1) le courant Hung qui développe les forces, l’externe et la résistance des hommes
2) le courant Kung axé sur la douceur et la fluidité
3) le courant Yue, combinaison du dur et du doux

À partir de ce dernier courant se développeront les systèmes d’imitation autres que les cinq animaux classiques, tels que l’imitation du Singe, de la Mante Religieuse ou le Lohan Quan… 

La restauration du monastère de Shaolin du Nord commença dès 1735. le nouvel empereur Qianglong séjourna même trois jours au monastère en 1750, où il fit reconstruire le temple aux mille Bouddhas détruit durant l’attaque de 1723 .

Qianglong était un empereur amoureux de l’art chinois, et ce fut grâce à cette passion et peut être aussi pour se rattraper des offenses faites envers les temples, qu’on lui doit cette reconstruction .Mais si les rebelles ne complotèrent plus dans le nord de la Chine, les Hakkas notamment, étaient toujours très virulents dans le sud et vers la côte. Aussi en 1768, les Mandchous incendièrent et détruirent le monastère de Shaolin du Sud dans le Fukkien, foyer de la rébellion dans cette région. 

De cette destruction s’échappèrent à nouveau cinq moines : Hung, Liu, Choy, Lee et Mo, qui d’après la légende créeront respectivement les styles suivants : Hung Gar, Lau Gar, Choy Gar, Li Gar et Mok Gar.

Une fois encore, il semble que ce ne furent pas les seuls rescapés (pardon à ceux qui aiment les légendes) puisque dans toute la Chine du Sud vont fleurir des styles sous l’impulsion des moines rescapés de cet incendie. On parle parfois de 13 rescapés, parfois de plus… il y a des confusions entre les incendies des deux temples… bref ! il est peu probable que l’on connaisse un jour l’exacte vérité. Toujours est-il que l’on peut retenir d’autres rescapés comme Choy Fok qui enseigna le Hung Gar (ou quelque chose d’apparenté) à Chan Heung fondateur du Choy Li Fut, ou comme Fang Huei Shi qui créa le style de la Grue Blanche (Baï Eu), ou Wang Long qui créa le style de la Mante Religieuse (Tang Lang) et Ng Mui qui participa à la création du style Wing Chun…

L’aspect intéressant de ces incendies, c’est la diffusion du savoir de Shaolin dans les différentes couches de la population chinoise.
Il peut paraître curieux que des moines ayant la même formation martiale à Shaolin aient pu enseigner et donner naissance à autant de styles différents. En fait, c’est la conséquence directe de l’enseignement à Shaolin. Au cours de sa formation, un moine étudiait une dizaine de styles ainsi que divers aspects du Wushu. Ensuite, il devait se spécialiser dans un ou deux styles ou dans un ou deux aspects, pour en devenir un expert, un enseignant puis un maître, chargé un jour d’assurer la transmission traditionnelle par l’oral. L’explosion de Shaolin a brisé cette formation commune, a isolé les experts qui n’ont pu enseigner que ce qu’ils maîtrisaient, leur propre système, que l’exil a parfois “enrichi”.

Ces enseignants rescapés de Shaolin étaient aussi condamnés à se déplacer sans cesse pour ne pas être pris par les Mandchous. Ils formaient leurs disciples rapidement, en restant quelques mois dans un village, quelques mois dans un autre… Cette courte formation et le peu de contact entre les disciples formés, ont contribué fortement à des différenciations, y compris dans un même style… Difficile de s’y retrouver !
Beaucoup disent que les cinq grands styles (Hung, Lau,…) sont les styles les plus purs et les moins déformés, de l’enseignement originel à Shaolin, mais c’est relativement faux. En effet, on a vu que la formation dans le temple était longue, interne, théorique, pratique et difficile.

Or, les rescapés n’étant plus protégés par une structure forte, sans archives et sans élèves, ils leur faut former rapidement des combattants efficaces afin de pouvoir tenir tête aux Qing. S’ils veulent à la fois continuer la lutte contre les Mandchous et que leur style ne meure pas, il doivent revoir leur façon d’enseigner dans l’urgence et le dilemme.

La priorité va être de former des combattants en quelques mois, voire en cinq ans pour les formations les plus longues, occultant une grande partie du patrimoine de chaque style. Ces styles étant la clé de voûte de la résistance, les enseignants n’avaient malheureusement pas le temps d’affiner. Ce sont donc des styles simplifiés qui vont naître, où l’efficacité et l’externe priment, car les instructeurs ne disposent plus des 20 ans nécessaires pour assurer l’ancienne formation, beaucoup plus interne. Ce côté interne ne sera développé qu’avec quelques rares élèves qui auront eu la chance de pouvoir rester plus longtemps que les autres, auprès de leurs maîtres. Ainsi, ces styles possèdent peu de formes (y compris le Choy Lee Fut du début) et le travail sur l’interne arrive à la fin de la progression (contrairement aux styles Taoïstes et aux styles de Shaolin du nord où l’interne commence dès le début).

Des cinq styles de la légende, seul le Hung Gar est encore visible de nos jours. Style court, il utilise la force externe, des exercices de tension dynamique et l’interne en fin de progression. Il est excellent pour le développement des muscles et des positions basses. Le Lan Gar est un style de longueur moyenne, le Choy Gar (sans relation avec le Choy Lee Fut) est un style de bras long, le Li Gar ( très rare) travaille avec des poings moyens et forts, le Mok Gar pour finir, utilise des techniques de mains courtes et des coups de pieds puissants…