Cercle Thieulâm

Écoles d’arts martiaux chinois traditionnels
法國少林聯合會

La main comme arme de guerre

Volet 7 (1800 – 1994)

Partie 4 : le renouveau

Nous sommes maintenant vers 1800. Les incendies et les destructions qui ont affectés les temples de Shaolin ont diffusé l’art martial dans la Chine, mais l’activité dans les temples a beaucoup changé. Le Temple de Shaolin du Fukkien ne se relèvera pas de ses cendres, et ses activités martiales ont donc disparues à jamais. Le monastère de Shaolin du Hénan a été assez peu affecté par l’attaque de 1723, si ce n’est justement sur un plan martial. Le temple continue d’entrainer ses moines, mais sous la surveillance des Mandchous. Le temple n’étant plus un lieu de résistance, l’entrainement perd un peu de sa saveur et de sa qualité. On pratique plus par tradition que par conviction. 

La dynastie Mandchoue est confrontée a deux problèmes importants : la corruption qui envahit l’empire à tous les niveaux et les pressions qu’exercent les pouvoirs occidentaux à la recherche de nouvelles colonies (France, Angleterre, Russie…). L’Empire, préoccupé par ses nouveaux problèmes, va petit à petit relâcher son étreinte sur le monastère. Cela dynamise d’autant l’entrainement des moines, dont la piste principale de travail n’est plus la formation de combattants mais la recherche, compilation, mise en archive des styles, du Qigong, voire l’espionnage et l’intégration des nouveaux styles qui apparaissent nombreux au cours de ce XIX° siècle.

En 1860, l’année chinoise s’équipe en armes à feu comme les occidentaux, et par conséquent, les soldats Qing commencent à mépriser les moines et les dépositaires des “anciennes” techniques à main nue, avec armes blanches, jugées peu efficaces face aux fusils et aux canons. 

Les moines deviennent donc libres pour leurs “entraînements méprisables”. A ceci s’ajoute le fait que les Qing pensent (justement ?) le système Shaolin en pleine phase de déclin, celui-ci étant porté par des pratiquants de second ordre (les grands maîtres sont soit décédés soit en fuite en dehors du monastère).

Le temple va rentrer dans le XX° siècle, affairé à rechercher les bouts épars de sa splendeur passée. La dynastie Mandchoue quant à elle, arrive à son terme, minée par la décadence et par l’impérialisme des occidentaux. La chute des Qing va engendrer un chaos politique qui va s’étirer sur près de cinquante ans.

En 1926, Chiang Kai Shek veut entreprendre la réunification de la Chine. Il demande au général Fong Yu Hsiang de combattre le seigneur de la guerre Farn Chung Shiovv. Or Farn Chung Shiow était un ami intime, du Supérieur du monastère de Shaolin, Meaw Shin. En 1928, le lieutenant de Fong Yu Hsiang, Shih Yeou Shan, attaqua Farn et celui-ci se replia sur Shaolin qui lui accorda sa protection. Les moines durent combattre avec les hommes de Farn pour défendre le temple des troupes de Shih, mais ils s’inclinèrent face à la supériorité des armes à feu. Enragé par l’attitude belliqueuse du Supérieur du monastère (qui avait péri dans la bataille), et parce que Farn avait réussi à s’échapper, Shih Yeou Shan fit brûler le temple. Le temple brûla pendant 40 jours. L’incendie ravagea notamment la bibliothèque et les archives du temple, détruisant les éléments historiques du Bouddhisme Ch’an mais aussi une grande partie des 300 formes déjà répertoriées et décrites, parmi celles qui étaient enseignées à Shaolin. Les moines survivants essayèrent aussitôt, une fois l’incendie éteint de refîxer les formes qu’ils avaient apprises et qu’ils avaient en mémoire. Mais une grande partie des enseignants étaient morts au combat, emportant leurs connaissance dans la tombe. Seulement 150 formes purent à nouveau être archivées. Shaolin ne se relèvera pas de cette destruction : le temple va vivoter pendant quarante ans, avec peu de moines et peu de pratiquants (les armes à feu ont complètement discrédités les arts martiaux en Chine au début de ce siècle).

En 1949, avec l’avènement de la République Populaire de Chine, les écoles urbaines de Kung-Fu sont fermées. Le monastère, à la campagne, a droit à un sursis de quelques années. En 1966, c’est le début de la Révolution Culturelle. Les arts martiaux, comme tout ce qui fait partie de la culture et de la tradition, sont dénoncés et “cloués au pilori”… Le monastère manque de peu d’être la proie des gardes rouges en 1967, mais il échappe à la destruction et est simplement fermé. Un certain nombre de moines survivent à cette époque en étant protégés par des responsables du système. Ainsi Shi Yong Shou, instructeur général du temple, trouve refuge auprès du général Xu Shiyou, ancien élève du temple, qui l’intègre dans l’armée communiste comme instructeur de combat. La révolution culturelle prend fin en 1976.

L’histoire chinoise depuis le XIX° siècle a disséminé des réfugiés chinois un peu partout dans le monde. Après la seconde guerre mondiale, les occidentaux vont découvrir le “Kung-Fu”. Naturellement, ces nouveaux pratiquants veulent voir Shaolin, berceau des styles qu’ils ont appris. Cette demande des occidentaux embête bien le gouvernement Chinois, car Shaolin n’est plus qu’un ensemble de constructions en pierre, vide, envahi par les ronces, sans chemin d’accès. Mais la Chine a besoin du crédit des autres nations et a surtout besoin de devises. 

En 1984, le gouvernement fait réouvrir le monastère de Shaolin. On construit une route, arrache les ronces, réhabilite les bâtiments et installe de nouveaux moines. En effet, les Chinois ont retrouvé de “vrais anciens moines” de Shaolin, mais problème : ils sont de véritables bouddhistes, ils défendent des théories peu conciliables avec le Maoïsme, et sont peu coopératifs pour enseigner une partie de leur art aux touristes. Bref ! ils sont difficilement commercialisables, aussi, on les installe dans un autre monastère à quelques dizaines de kilomètres de Shaolin, des fois que l’on ai besoin d’eux pour un point d’histoire… Le gouvernement transforme en moines quelques instructeurs, des militaires, et le tour est joué. On peut ouvrir le monastère aux touristes. Les “actuels faux moines” de Shaolin ne sont donc pas plus moines que vous et moi. Ils sont par contre experts en Wushu, parfois en Kung-Fu, et ce sont des professionnels du Wushu Chinois et du spectacle. Et presque tous les pratiquants se laissent prendre. Par exemple, cela n’a étonné personne que les moines venus à Bercy, exécutent des formes de Wushu inventées il y a moins de 20 ans à la place des formes anciennes de Kung-Fu dont ils devraient être les détenteurs. L’Occident est une mer de naïveté face à l’Orient !

En 1988, les poissons sont ferrés, les touristes sont de plus en plus nombreux, et les Chinois construisent tout naturellement un centre touristique à Shaolin desservi par une belle route, avec hôtel, salles d’entraînement, et cours et diplômes dispensés par des moines ! Cela devient très lucratif, car le symbole étant très fort, même les Chinois accourent pour apprendre le Wushu dans les écoles qui se montent de toutes pièces autour du monastère. Actuellement, l’enseignement au sein du temple copie assez fidèlement l’enseignement ancien de Shaolin.

Le gouvernement choisit 8 jeunes garçons chaque année, qui vont devenir “moines”. Pendant les trois premières années, les débutants apprennent la base. Ils travaillent debout sur les pieux plantés dans le sol, pour acquérir la stabilité, l’équilibre ainsi que la force dans les jambes. Ils apprennent aussi les formes de mains de base qu’ils travaillent jusqu’à une maîtrise acceptable. Ensuite au cours du second cycle qui dure quatre ans, ils étudient les formes de mains supérieures, les 18 armes classiques (maniement et formes), le combat libre, l’anatomie humaine, la phytothérapie, la lutte chinoise, les chutes, le javelot, l’équitation, le tir à l’arc, les exercices de vitesse et de force…
Au cours du cycle, les enseignants choisissent les étudiants qu’ils vont faire travailler particulièrement pour approfondir un style et le transmettre. En acceptant de devenir un élève choisi, l’étudiant accepte aussi la responsabilité d’enseigner et de transmettre le style de l’école au sein du monastère de Shaolin. Commence alors le dernier cycle, le plus difficile, où sous la férule de son maitre, l’élève va étudier l’entrainement mental, le développement de la concentration, des sens, de l’intuition et la maitrise du Qi.

Malgré tout le souci d’authenticité que veut mettre la Chine dans certains aspects de ces moines, il n’en demeure pas moins que l’on est loin du véritable enseignement de Shaolin. Des pratiquants sérieux n’accepterons jamais qu’on leur enseigne une forme de wushu comme une forme traditionnelle .
Il est curieux que les moines (pour garder une certaine crédibilité vis à vis des étudiants les moins naïfs) aient été obligés d’aller apprendre les formes de Shaolin auprès des maitres à Taïwan et à Hong Kong. La Chine veut imposer le Wushu comme la seule pratique martiale chinoise. Doit elle aller jusqu’à tromper les pratiquants sincères dans leur recherche ? La pratique de Shaolin a beaucoup perdu en un siècle. Que nous propose t-on aujourd’hui ? Le vrai Kung Fu n’est-il pas maintenant à rechercher ailleurs, même si Shaolin qui a été un moteur du développement du Kung Fu restera le symbole de l’Art Martial ?