Cercle Thieulâm

Écoles d’arts martiaux chinois traditionnels
法國少林聯合會

La main comme arme de guerre

Volet 5 (1640 – 1700)

Partie 2 : la résistance

1644 – Une date importante dans l’histoire de la Chine : les Qing (Mandchous), un peuple de guerriers venus du Nord, envahissent la Chine septentrionale, prenant le pouvoir aux Ming décadents.

La plupart des notables et militaires Ming s’enfuient dans le sud pour y organiser la résistance. Beaucoup se réfugient dans les monastères à cause de l’immunité qu’ils peuvent y gagner. Certains partent pour Taïwan ou le Japon. Shaolin, comme tous les temples, reçoit son lot de réfugiés, et intègre à son art de combat, les connaissances des fuyards dont beaucoup sont des cadres militaires. Cette époque est aussi marquée par la création officielle des grands styles martiaux Taoïstes, comme le Tai Chi Chuan, le Hsing Chuan et le Wudang Paï qui font leur apparition sur le mont Wudang. Pour plusieurs raisons, ces styles vont faire de la concurrence à Shaolin. Tout d’abord ce sont des styles Taoïstes et non Bouddhistes. Leur efficacité est grande, ce qui met un terme à l’hégémonie de Shaolin dans le rayonnement martial. Les Taoïstes vont énormément développer le travail de l’énergie interne et par ce biais là, ils vont réaliser quelques miracles aux yeux de la population, ravissant du même coup la source des légendes et des croyances populaires à Shaolin. On dit les Taoïstes plus forts, martialement, spirituellement, plus proche des dieux et des dragons ! La concurrence entre les deux “Mecques des arts martiaux Chinois” va être rude (au moins en légendes). Les Taoïstes vont tout faire pour que l’on définisse les arts de Shaolin comme externes, et les leurs comme internes et donc supérieurs. 

Deux méthodes de Qigong, vont se développer et s’opposer, le Nei Dan et le Wei Dan. Nous avons vu la dernière fois, que les moines de Shaolin sont allés espionner les moines du mont Wudang pour en découvrir les secrets. On dit, aussi que les Taoïstes auraient fait incendier Shaolin par les Mandchous… Il est difficile de savoir, quelles étaient les limites de cette opposition et quels en ont été les pertes pour l’art martial, mais il est certain qu’elle a stimulé les deux camps pour surpasser son adversaire de toujours. 

En 1661, les Mandchous envahissent le sud de la Chine, pour mater la résistance et débusquer les anciens Ming qui alimentent la révolte. Ils écrasent les armées de résistance ; toute la Chine est officiellement sous domination Qing. Ils imposent aux Chinois des mesures de ségrégations : tout Chinois devra porter la natte mais se fera raser la partie antérieure et frontale de la tête. En fait, la résistance va continuer pendant deux siècles. Les Ming réfugiés vont prendre le nom de Hakka, et vont entretenir une guerre larvée, avec des moments plus ou moins violents comme la révolte des Taipings (1850 – 1864) ou la révolte des Boxers. La défaite de 1661 est mal digérée, aussi se succéderont embuscades et périodes de paix selon les empereurs et la personnalité des grands fonctionnaires. Des moines préfèrent s’exiler plutôt que de rester dans ce climat politique instable. Ainsi, Chang Wo Ting part au Japon où il crée l’école Yagyu Chingar Ju Jutsu (ancêtre de l’aïkido), Chin Yuan Pin l’a précédé en ouvrant l’école Kito Ryu. L’empereur Kangsi, comme beaucoup d’empereur Mandchous, est admiratif de la culture chinoise que son peuple de guerriers n’a jamais pu égaler. Par amour pour la Chine, il adoucit certaines mesures discriminatoires, pourtant la résistance est toujours aussi intense. Pour y faire face, il fait interdire la pratique de l’art martial, mais celle-ci se perpétue en secret. Les résistants développent des actions terroristes ponctuelles, tuent un ou deux soldats, volent de l’argent, du bétail, des armes, font perdre la face aux Mandchous. Ils vont par petits nombres pour ne pas attirer l’attention avec des mouvements de troupes. De même, ils ne transportent pas d’armes de guerre, facilement identifiables en cas de fouille, ou lourdes et peu pratiques. Ils préfèrent développer des techniques à partir d’objets usuels : outils de paysans, banc, bêche, fléau, flûte, baguettes, le bâton et surtout la main nue. 

La main nue devient le symbole de la guerre contre les Mandchous. Cette conception du conflit plait bien aux moines de Shaolin qui se transforment en instructeurs actifs, pour former des résistants. C’est de cette époque que va dater la mise en place des tests d’entrée et de sortie à l’enseignement de Shaolin. Il fallait former des gens compétents, sûrs, qui ne trahiraient pas, mais avec cependant les connaissances suffisantes pour pouvoir réimplanter les valeurs Ming, le Bouddhisme et la résistance sur les lieux de leurs voyages : donc des personnalités à fort charisme.

Outre de s’assurer la fidélité aux Ming des résistants, ces tests permettaient d’éliminer les éventuels espions Mandchous ou les espions venus d’autres styles. (On n’apprend pas à un vieux singe …). Les personnes formées à Shaolin devaient faire preuve de persévérance, de volonté, d’endurance, mais aussi de capacités intellectuelles importantes. A la fin de la formation, pour accèder à la maîtrise, puis pour pouvoir quitter le temple, le prétendant devait passer des examens de lettres : religieux, philosophiques, littéraires, médicaux, de gestion… Celui qui n’était pas un lettré, était éliminé d’office. Ensuite, il fallait réussir les épreuves pratiques (médicales…) et martiales : démonstrations des formes à mains nues, de celles avec armes, de leurs applications, combats à mains nues et avec armes contre plusieurs adversaires armés ou non, et enfin, le test des mannequins de bois.

Légende ou réalité, ce sont 108 (18 selon certains) mannequins de bois disposés de part et d’autre d’un couloir obscur. La personne qui passe au milieu, déclenche des frappes du mannequin, chaque mannequin frappant d’une manière différente et mortelle sur celui qui essaie de passer. L’objectif était de traverser le couloir, en esquivant au mieux, pour arriver au bout, “vivant”. Pour sortir du temple, les rescapés, souvent blessés, devaient ouvrir une porte en soulevant une urne chauffée au rouge de 250 kg, en l’enserrant avec leurs avant-bras. Le fer brûlant inscrivait définitivement la carte de visite de Shaolin : un tigre et un dragon sur les bras du nouveau maître. Il n’existe aucun élément pour étayer cette légende, ni pour dire si une telle épreuve se déroulait dans le Shaolin du nord ou du sud. Cela prouve cependant l’importance de la résistance et la volonté de préserver le savoir de Shaolin. Par contre le passage à Shaolin va influencer l’âme et le mental des combattants. L’étude du Bouddhisme et les valeurs du monastères, vont former des maîtres et des résistants de grande droiture morale et vont contribuer à moraliser les arts martiaux chinois par la suite. Paradoxalement, que le temple devienne un haut lieu de résistance et qu’il renforce le secret sur ses pratiques, va contribuer à diffuser l’art martial de Shaolin dans toute la Chine selon le vieux principe :

Si c’est secret, cela doit être vraiment important et efficace !