Cercle Thieulâm

Écoles d’arts martiaux chinois traditionnels
法國少林聯合會

La main comme arme de guerre
Volet 4 (1540 – 1640)

Partie 1 : Kioh Yuan

Aux environs de 1540, un jeune homme d’origine noble (Kioh Yuan) se rend à Shaolin pour y devenir moine et y apprendre l’art martial qui a fait la réputation du temple. Malheureusement, Kioh Yuan (1522 – 1566) constate rapidement que la réputation ne correspond guère à la réalité, et que le niveau martial des moines semble être de médiocre qualité. Animé par son enthousiasme, par la passion des arts martiaux, avec la bénédiction du supérieur du temple, il part en voyage, à la recherche de maîtres capables de réintroduire les disciplines martiales à Shaolin. Au cours de ses pérégrinations, il va faire la rencontre de Pai Yu-Feng et de son maître Li Chieng. Tous les trois, ils vont reconstruire “l’art de la main ouverte” à Shaolin, en lui apportant d’importantes modifications. – L’art martial de Shaolin va reposer désormais de manière fondamentale, sur les techniques de mains et non plus sur les techniques d’armes. En effet, Pai et Li étaient très forts à mains nues contre des adversaires armés. – Ils partent des 18 Arrhats Bouddhistes (reste du passage de Bodhidharma), pour créer un nouveau système: les 72 mains des arts de combats de Shaolin, dont le système complet possède 172 techniques au total. – Ils introduisent le système des 5 animaux qui divisent l’ensemble des techniques, et qui permet d’étudier et de développer de façon séparée, diverses caractéristiques du combat et du combattant. Chacun doit développer ces 5 aspects de son être pour conditionner le corps entier. La combinaison des 5 permet d’obtenir des artistes martiaux “Supérieurs”. Ce système des 5 animaux que nous connaissons bien, s’appelle le Wu Xing Quan. Petit à petit, sur la base de cette nouvelle progression, les moines vont se reprendre d’intérêt pour leur art martial et notamment vis à vis des nouvelles formes de main.

Derrière la légende de Kioh Yuan, dont on ne connait pas vraiment la réalité historique et l’apport réel pour la création du nouveau système, se cachent deux évolutions importantes: 

1°) – Le développement des soins médicaux et des Qi Gong au monastère ainsi que le développement du travail sur l’énergie interne ne pouvaient qu’aboutir à une évolution martiale, dont le niveau supérieur était le travail de l’énergie, symbolisé par la main ouverte. Si Kioh Yuan, n’avait pas apporté cet aspect interne (s’il l’a apporté), les moines l’auraient trouvé de toute façon. D’autant plus, que l’utilisation de la main ouverte est moins en contradiction avec la philosophie bouddhiste, que l’utilisation des armes. 

2°) – La seconde évolution notable est l’utilisation de connaissances extérieures au monastère pour enrichir la pratique. Nous verrons plus loin l’importance de cette manière de procéder dans l’histoire de Shaolin.

Quoi qu’il en soit – Kioh Yuan ou pas Kioh Yuan – l’art de Shaolin se tourne vers la main ouverte, mais une main qui est interne, dont le secret réside dans le travail de l’énergie et des Qi Gong (A ce propos, il est intéressant de noter que sur les 72 techniques de mains de l’art de Shaolin, 36 – la moitié – sont appelées les 36 exercices internes et sont en fait des exercices de Qi Gong). 

Les armes vont passer au second plan. Après Kioh Yuan, les moines vont continuer d’enrichir leur art en allant piocher dans les autres styles ce qui leur plait. Ils vont ainsi développer un véritable système d’espionnage, pour s’approprier les secrets des autres styles de mains, qui vont connaître à partir de cette époque une formidable expansion. Ils n’hésiteront pas, par exemple, à envoyer des moines (bouddhistes), se faire passer pour des moines taoïstes dans les grands temples de la tradition martiale Taoïste (leurs grands ennemis), se faire accepter comme disciples, pour y recevoir l’enseignement martial du Tai Chi Chuan pendant dix ou quinze ans. Ces moines, à leur retour créeront dans l’enceinte de Shaolin, le Shaolin Tai Chi Chuan….Un comble pour Shaolin! Ainsi pendant près de deux siècles, les moines du monastères vont amasser des informations et des styles entiers dans leurs archives. Mais bien sûr, conserver tels quels, autant de styles aurait demander beaucoup de travail, des milliers de formes (taos) à retenir… Aussi, les moines éliminent ce qui leur semblent être superflus, les bases communes à plusieurs styles, les formes de débutants, les techniques qu’ils connaissent déjà…. A partir de chaque système martial qui entre en entier à Shaolin, ils synthétisent une ou deux formes qui reprennent les caractéristiques principales du dit style. Le Shaolin Quan, petit à petit va se transformer en un ensemble hétérogène d’une centaine de styles, bien loin du style unique, clair et progressif que certains lui attribuent encore. Cet état de fait a des avantages et des inconvénients. Sur un plan historique, l’art martial de Shaolin est une vraie mémoire vivante de tous les styles qui ont croisés sa route, même si les formes de Shaolin sont souvent loin (à cause des synthèses) des systèmes entiers qui sont parvenus jusqu’à nous. On y retrouve des styles comme le Pao Quan (boxe canon), le Meihua Quan (boxe de la fleur de prunier), le Xin Yi Quan (boxe du coeur et de l’esprit), le Liuhe Quan (boxe des six combinaisons), le Hou Quan (boxe du singe), le Zui Quan (boxe de l’homme îvre), le Ditang Quan (boxe de la culbute). 

Mais souvent, les synthèses de styles réalisées à Shaolin sont moins efficaces que les styles en eux-même dont elles sont issues. Le Ditang Quan de Shaolin est moins efficace que le style Ditang Quan. Le Tai Chi de Shaolin a moins d’intérêt que le Tai Chi Chuan de la famille Chen. Par contre, le fait que les étudiants de Shaolin étudient plusieurs systèmes, leur permet de faire des combinaisons de techniques, où ils sont plus efficaces que les détenteurs d’un style unique. L’originalité de Shaolin résidait donc dans cet enseignement hétéroclite et très riche, cimenté par un travail de Qi Gong poussé, créant des “généralistes efficaces”, et quelques “spécialistes surdoués”. 

A la fin de la dynastie Ming, le monastère accueillit de nombreux réfugiés et résistants qui se battaient contre les Mandchous. Ceci aida, à la récupération que faisait le Monastère, puisque les réfugiés payaient leur passage en enseignant leur art martial. Vers le milieu du XVII° siècle, l’aura de Shaolin s’était répandue dans toute l’Asie, de la Corée au Japon, en passant par le Vietnam. Des moines partent enseigner un peu partout, comme Chen Yuan Yen qui diffuse au Japon, une technique douce: “La technique du peuple Ming” qui deviendra le Judo. A cause de sa diversité et de cet ensemble de styles, bien malin, par contre, celui qui peut définir le Shaolin Quan. Certains ne considèrent comme Shaolin Quan, que les techniques des cinq animaux introduites par Kioh Yuan, mais elles n’appartiennent pas plus à Shaolin que le reste, et elles ont probablement subi d’importantes modifications au contact des autres styles… L’histoire de Shaolin, n’est pas finie, et elle va même se compliquer encore un peu. Difficile à suivre !